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Story Publication logo September 16, 2024

Bombings, Rapes, Torture ... In Devastated Khartoum, We Plunge Into a War Waged Behind Closed Doors (French)

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Sudan war
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After more than 16 months, war in Sudan has claimed more than 150,000 lives, forcing more than 8...

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Ahmed Bushra and his friends are former revolutionaries who demonstrated against the military coup in 2021. They have now taken up arms alongside the army to fight against the Rapid Support Forces. Image by Arthur Larie/Le Figaro. Sudan.

An English summary of this report is below. The original report, published in French in Le Figaro, follows.


Khartoum, Sudan's capital and a vibrant metropolis with a population of 9 million, is today the epicenter of a conflict that has left tens of thousands of people dead and 11 million displaced. The center of Omdurman, the sister city of Khartoum, is nothing but rubble. The buildings bear the scars of the fierce fighting between the Rapid Support Forces and the Sudanese army, which has taken control of the city. 

Although the front line has shifted a few kilometers to the west and across the Nile, the war is never far away. And no part of the capital has been spared. The few remaining hospitals are full of the wounded. Daily bombing from both sides are responsible for civilian casualties and terror.

In neighborhoods recently recaptured by the army, residents testify to the violence of the war and the paramilitary group's attacks on civilians: rape, arbitrary detention, murder. Few Sudanese have been spared by the conflict.

Faced with violence, young Sudanese have decided to take up arms. Among these volunteers are members of a group of revolutionaries who were on the front line before the war in demonstrations against the military coup that was violently repressed by the army and the RSF.


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Bombardements, viols, torture... À Khartoum dévastée, plongée dans une guerre à huis clos

Le conflit qui ravage le Soudan depuis plus d'un an a détruit les bâtiments de la capitale. Les habitants affamés tentent de survivre aux combats entre soldats et miliciens.


Le ciel gronde. Une salve de quatre détonations résonne sur les murs de la petite allée. « Ça vient de chez nous, » lâche un jeune militaire comme pour se rassurer. Mais à Khartoum, le chemin des ogives n’est pas à sens unique. Et la ville en est témoin. Dans les quartiers centraux de la capitale soudanaise, pas un bâtiment n’a été épargné. L’un criblé à l’arme lourde, le second éventré par l’impact d’un tir de mortier, le troisième pillé jusqu’aux portes et fenêtres. À Omdurman, l’une des trois municipalités de Khartoum située sur la rive occidentale du Nil et véritable poumon économique de la capitale, le tentaculaire marché n’est plus qu’une succession de décombres calcinés. Seules des ombres furtives rasent les murs, chancelant.

Au bout de la rue, le mausolée abritant la tombe du Mahdi, héros de la libération du Soudan et instigateur en 1881 d’un soulèvement contre l’occupation anglo-égyptienne, porte les stigmates des combats. De l’autre côté du fleuve, désormais ligne de front naturelle, la silhouette noircie par les flammes du siège de la Greater Nile Petroleum Oil Company, repère emblématique de la capitale, s’élance sinistrement vers le ciel. Seize mois d’intenses combats urbains ont ravagé la vibrante métropole, la vidant de plus d’un tiers de ses 9 millions d’habitants.

Des centaines de déplacés chaque jour

Walid a trouvé refuge à l’école secondaire Mohajer, dans un quartier excentré du nord-est de la capitale, contrôlé par l’armée. « On donne aux enfants des cours en anglais et en arabe, on ne veut pas que la guerre leur prenne aussi leur scolarité, » lance-t-il l’index pointé sur le tableau couvert de craie. Originaire de Tuti, une île cossue en plein cœur de Khartoum, il a tenté de résister à l’exode. « Une bombe a explosé juste à côté de mes enfants. Nous sommes partis sur le coup, je n’ai rien emporté. Je n’ai pensé qu’à une chose : mettre mes enfants en sécurité, » confie-t-il entouré de ses deux garçons.

Vidéo reproduite avec l'aimable autorisation de Le Figaro.

Il fait maintenant partie de ces 11 millions de Soudanais poussés hors de leurs maisons par le conflit. Chaque jour, ils sont des centaines à fuir ou refuir cette guerre, en bus, en charrette ou à pied. Vaste pays de 48 millions d’habitants frappé par la plus grande crise de déplacés du XXIe siècle, le Soudan est devenu une terre d’errance.

Assise sur son lit, drapée dans un voile ample aux motifs zébrés, Amal Ibrahim caresse la jambe de son fils. Seul un néon éclaire la petite pièce sans fenêtre. Avec ses quatre enfants, elle a fui Ombada, en bordure ouest de la capitale soudanaise où les combats font rage. La famille a posé ses valises dans une école nommée « Paradis » où sont hébergés plusieurs déplacés. « Je pensais que nous serions en sécurité ici, » soupire Amal. Il y a cinq jours, une roquette a frappé la cour de cette école, tuant sur le coup son fils aîné, Abubabkr, et blessant le cadet. « Il est encore sous le choc d’avoir perdu son frère. À chaque détonation, il fait une crise de panique. On n’a nulle part où aller, mais on ne peut plus rester ici ».


Le fils d'Amal Ibrahim blessé par un obus tombé dans la cour de l’école où ils ont trouvé refuge. Son frère est mort sur le coup alors qu'il jouait au foot. Image par Arthur Larie/Le Figaro.

Environ 150.000 morts

Le 15 avril 2023 à l’aube, le pays encore somnolant s’est embrasé. Habitués aux coups d’État à répétition, les Soudanais s’attendent alors à ce que le conflit entre l’armée soudanaise et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), émanation des redoutés janjawid (« cavaliers du diable ») qui semaient la terreur au Darfour dans les années 2000, s’achève rapidement. Unis la veille encore pour renverser le gouvernement civil instauré après la révolution de 2019 (qui avait elle-même permis de destituer le dictateur Omar el-Béchir), le général Abdel Fattah al-Burhan et le chef des FSR Mohammed Hamdan Dagalo, dit «Hemedti », se disputent désormais le contrôle du pays. Le résultat d’une escalade des tensions de plusieurs mois liée aux désaccords sur l’intégration des FSR dans l’armée.

Une décennie après l’intégration des janjawid à l’appareil sécuritaire de l’État sous la forme des FSR, la créature s’est retournée l’année dernière contre son créateur. Sur le terrain, malgré une supériorité matérielle de l’armée, les FSR prennent rapidement l’avantage. En quelques mois, ils s’emparent de quatre des cinq capitales provinciales de la région du Darfour, assiégeant la dernière. Dans le Sud-Est, les hommes d’Hemedti ouvrent de nouveaux fronts en direction du Nil Blanc, de Gedaref et de la frontière éthiopienne. Le pays est divisé : l’ombre du scénario libyen plane sur le Soudan. Deux autorités rivales prétendent diriger le pays, l’une à l’ouest et l’autre à l’est où le gouvernement loyaliste s’est replié à Port-Soudan sur la mer Rouge.

Khartoum, qui a toujours prospéré à l’abri des guerres, est en 2023 l’épicentre du conflit, meurtrie par de violents combats urbains. Dans un pays fortement centralisé, les deux camps se livrent une lutte acharnée pour contrôler le cœur politique, économique et social du pays. Omdurman est majoritairement sous contrôle de l’armée. En face, sur les autres rives, Khartoum, le centre politique, et Bahri, ville industrielle aujourd’hui cimetière d’usines, sont entre les mains des milices d’Hemedti.


Un soldat de l'armée soudanaise salue des militaires. Derrière lui, une affiche du général de l’armée Abdel Fattah al-Burhan. Image par Arthur Larie/Le Figaro.

Après plus d’un an, le bilan humain estimé à près de 150.000 morts ne cesse de s’alourdir. Les différentes négociations et tentatives de médiation ont jusqu’ici échoué et les deux camps sont prêts à tout pour diriger un pays en ruine. En coulisses, plusieurs pays alimentent la guerre : Émirats arabes unis, Russie, Iran livrent munitions et drones de combat, en dépit d’un embargo international sur les armes.

Détentions arbitraires et torture

Sur le chemin de la Télévision nationale, centre de commandement des FSR récemment repris par l’armée, une vingtaine de tombes creusées à la hâte par les habitants s’alignent sur un terrain vague. « Nous ne pouvions pas enterrer nos morts, se déplacer était trop dangereux, même pour aller au cimetière dans le quartier voisin, » confie Mohammed Hassan, marque brune de prière sur le front.


Mohammad Hassan a enterré des proches et des inconnus dans ce cimetière improvisé à la va-vite sur un terrain de foot. Image par Arthur Larie/Le Figaro.

Les destructions matérielles de la ville ne sont que les cicatrices visibles d’une guerre sanglante pour ces civils pris en otages. « J’ai vu les familles quitter le quartier une par une. Les premières semaines, la vie continuait, mais avec le temps, les FSR sont devenus suspicieux et s’en sont pris aux civils. Les gens ont fini par partir, » déplore Adam Ali, un agriculteur d’une quarantaine d’années, resté pour éviter le pillage et l’occupation de sa maison. En septembre dernier, il a été arrêté et enfermé à la Télévision nationale, accusé d’être un soldat de l’armée soudanaise.

"Je me réveille la nuit en pensant qu'ils appellent mon nom et que je dois me lever pour aller me faire battre. Et puis je réalise que je suis chez moi, qu'il n'y a personne"

—Adam Ali, agriculteur accusé d’être un soldat de l'armée soudanaise

Dans le bâtiment, où des centaines de civils sont détenus et torturés, une odeur insupportable, mélange d’urine et d’excréments, saturait l’espace ; raconte Adam Ali. « On n’avait aucune place pour allonger nos jambes, on dormait accroupis, » se souvient-il. Dans une pièce de trois mètres sur quatre, il survivait tout juste avec une trentaine de codétenus. « Ils ne vous laissaient pas une heure tranquille sans coups, insultes et tortures. Ils vous traitaient comme si vous n’étiez plus un humain. Plusieurs personnes sont mortes dans cette pièce, ils prenaient simplement les corps et les jetaient dans le Nil, » décrit-il.

Remontant les pans de sa djellaba blanche, Adam Ali révèle son dos meurtri. Plusieurs mois après son passage aux mains de la milice, les lacérations des fouets et des câbles électriques marquent encore sa peau. Il a des cicatrices partout : de l’entrejambe jusqu’au bout de ses ongles, arrachés à la pince. Il en fait encore des cauchemars. « Je me réveille la nuit en pensant qu’ils appellent mon nom et que je dois me lever pour aller me faire battre. Et puis je réalise que je suis chez moi, qu’il n’y a personne, » souffle-t-il.


Adam Ali, torturé par les FSR pendant plusieurs semaines porte encore les marques et les brûlures. Image par Arthur Larie/Le Figaro.

Mohammed et Rami sont, eux, sans nouvelles depuis plusieurs semaines de leur oncle, enlevé par des hommes des FSR près de la maison familiale à Ombada. « Ils disent que c’est un espion et nous demandent de payer beaucoup d’argent en échange de sa libération. Nous avons demandé des preuves de vie, en vain, » déplore Rami. « Avec le déplacement de la ligne de front à Ombada, on est inquiets. Les FSR gardent les prisonniers au dernier étage des maisons et des immeubles, où ils servent de boucliers humains contre les bombardements de l’armée, » explique son frère.

« Les deux premiers mois du conflit, nous n’avions pas vraiment de problèmes avec les FSR. Ils étaient concentrés sur les combats, puis ils ont pris le contrôle et ont commencé à piller. Ils ont fait venir des combattants étrangers du Tchad et de Libye qui n’en ont rien à faire de détruire notre héritage et de voler notre pays, » s’agace Rami. 

Femmes violées et vendues comme esclaves

Polo noir affichant une huppe dorée (l’oiseau, messager du roi Salomon, est le symbole des renseignements militaires soudanais), un soldat en treillis militaire accompagne un combattant des FSR fait prisonnier lors de la reprise du quartier par l’armée. « J’avais un petit magasin à Mayo (un quartier populaire au sud de Khartoum), ils m’ont pris et m’ont forcé à travailler pour eux », explique d’emblée « Ajit », dont le prénom a été modifié, originaire du Soudan du Sud. 

« Au check-point ou j’étais posté, les soldats se vantaient ouvertement d’avoir violé de nombreuses femmes. Avant d’être avec eux, je l’ai vu de mes propres yeux. Dans le quartier, des miliciens venaient choisir les plus jeunes femmes, » détaille-t-il. Les FSR sont accusés de marier de force ou de vendre comme esclaves au Darfour des femmes capturées dans la capitale.

La vingtaine, « Faiza » accepte de témoigner sous couvert d’anonymat : « Une femme travaillant pour la milice m’a tendu un piège. Ils m’ont arrêtée sur le chemin du marché et m’ont emmené dans une salle avec plein de femmes. Les soldats venaient se servir à n’importe quelle heure et on entendait les cris des filles ». Mariée de force à un commandant des FSR octogénaire qui projetait de la ramener dans son désert libyen d’origine, elle réussit finalement à s’échapper.


"Avec la guerre, les gens ne meurent pas seulement des bombes et des balles mais aussi des maladies" déclare Jamal Al Tayeb, docteur à l’hôpital Al Nao. Image par Arthur Larie/Le Figaro.

Dans la capitale en guerre, les viols sont devenus courants. Un rapport de Human Rights Watch dénombre plus de 262 victimes de violences sexuelles âgées de 9 à 60 ans entre avril 2023 et février 2024… Mais le chiffre réel est certainement bien supérieur. Si les auteurs de ces crimes sont majoritairement des FSR, les soldats de l’armée régulière en commettent également, ainsi que des attaques contre des soignants traitant des victimes du conflit. Des actes qualifiés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité par Human Rights Watch. Washington dénonce également les exactions des FSR contre les populations civiles. Accusée de bombardements indiscriminés et d’utiliser la famine comme arme de guerre, l’armée est également pointée du doigt.

« Le stigmate social du viol est très fort dans la société soudanaise. Notre tradition fait que beaucoup de femmes préfèrent garder le silence, les cas déclarés sont largement en deçà de la réalité, » estime Jamal el-Tayeb, directeur de l’hôpital al-Nao. Depuis son bureau baigné d’une lumière bleutée, il dénonce une guerre sale. « On a perdu 174 soignants depuis le début, tous tués à l’intérieur des hôpitaux. Si les FSR amènent un de leur combattant, tu dois lui sauver la vie, sinon tu meurs aussi », poursuit ce chirurgien orthopédique de formation. La veille, plusieurs roquettes sont tombées à une cinquantaine de mètres des grilles d’al-Nao. « C’est la quatrième fois depuis le début de la guerre. L’hôpital a été directement touché deux fois. Les deux autres fois les projectiles sont tombés juste à côté. L’hôpital est clairement la cible de ces tirs, » explique Jamal el-Tayeb.

Maladies chroniques et malnutrition

« Elle, et lui, et cette patiente là-bas aussi. » Traversant la salle surchargée des urgences, le médecin désigne rapidement les victimes des bombardements de la veille. Tous ont eu lieu dans des quartiers considérés comme sûrs, où le gouvernement, au moyen de larges panneaux publicitaires, incite la population à revenir. À l’étage des soins intensifs, Shima, 8 ans, est suspendue entre la vie et la mort. Devant la porte, sa mère s’effondre. Depuis sa cuisine, elle n’a pas eu le temps de voir la roquette s’abattre sur la chambre de sa fille.


Des enfants rentrent chez eux dans le quartier de Wad Nubawi détruit par les combats entre l'armée soudanaise et les Forces de soutien rapides. Image par Arthur Larie/Le Figaro.

« Les blessés ne sont qu’une petite partie de cette guerre. Les gens ne meurent pas seulement sous les bombes et les balles, explique Jamal el-Tayeb. Ce conflit favorise les maladies chroniques , les cas de malnutrition et augmente le taux de mortalité faute d’accès aux soins médicaux ». Plus de la moitié des hôpitaux sont toujours fermés dans l’État de Khartoum selon Sohail al-Bushra, vice-président du comité des médecins d’urgence.

Allongée, à moitié consciente, Sitt al-Jil, 86 ans, les cheveux colorés de henné orange, doit subir une amputation d’urgence. « Les médecins disent qu’il aurait fallu venir plus tôt pour sauver sa jambe, mais des miliciens nous ont empêchés de venir ici. On a dû prendre des risques pour nous échapper, » confie son fils.

"Maintenant je n'ai même plus assez d'argent pour acheter du pain. On m'a tout volé: mes voitures, mes bijoux, mon or: ils m'ont tout pris"

—Gassim Ibrahim, ancien commerçant

« Les problèmes liés au manque de nourriture ne cessent d’augmenter, » s’alarme Abdallah Mousaddal, pédiatre à l’hôpital al-Buluk, à l’initiative de la clinique spécialisée dans les cas de malnutrition. Tous les jours, une dizaine d’enfants y sont admis en situation critique. Allongés sur les lits, les corps rachitiques des nourrissons attestent de la crise alimentaire qui frappe le Soudan. « Ce ne sont que les cas dont nous avons connaissance. Beaucoup d’enfants dans cette situation n’ont pas accès aux soins médicaux à travers le pays, » poursuit le jeune docteur.

Le visage tiré par la fatigue, Anadi Mahmoud est arrivée la veille d’El-Fasher. La capitale régionale du Darfour du Nord est assiégée depuis le printemps par les milices d’Hemedti, limitant l’acheminement de l’aide humanitaire. Elle a osé un périple de six jours dans des conditions périlleuses. « Je n’avais pas d’autre choix que de venir ici. Avec les bombardements, il n’y a plus un seul hôpital encore ouvert dans la ville, confie la mère de famille Il y a des pénuries de nourriture. C’est à peine si je pouvais préparer un repas par jour ». Anadi a de la chance : son enfant de 15 mois va s’en sortir. Contrairement à la centaine de personnes qui meurent chaque jour de la faim au Soudan.

Le défi de l’accès à la nourriture

À Karari, localité du nord-est de Khartoum épargnée par les combats et les destructions, fruits et légumes abondent sur les étals des marchands. Des plateaux de pain odorant sortent des boulangeries. Cette apparente abondance masque une sombre réalité : plus de la moitié de la population soudanaise a besoin d’une aide alimentaire urgente. « La famine n’est pas qu’une question de disponibilité de la nourriture mais aussi de prix. Aujourd’hui, beaucoup de gens ne peuvent plus s’acheter à manger, » insiste Mathilde Vu, responsable plaidoyer au Norwegian Refugee Council.  

Commerçant à succès, connu aux quatre coins de la capitale, Gassim Ibrahim n’avait jamais enduré la faim. Avant-guerre, les clients se pressaient dès minuit, affrontant une longue queue pour espérer déguster les fameuses pâtisseries d'« oncle Gassim ». « Maintenant je n’ai même plus assez d’argent pour acheter du pain. On m’a tout volé : mes voitures, mes bijoux, mon or : ils m’ont tout pris. »

Ce maître de la gourmandise doit désormais compter sur la solidarité des Soudanais pour se nourrir. À Omdurman, près d’une centaine de takya, des cuisines communautaires, viennent en aide à la population. Sheikh Ibrahim, qui était youtuber avant la guerre, gère l’une de ces cuisines sur l’artère centrale de Wad Nubawi. « C’est la première à avoir ouvert dans le quartier après sa reprise par l’armée. » Elle est installée dans une ancienne crèche au plafond éventré par un projectile.


Le plus grand marché de Khartoum totalement détruit par les combats. Image par Arthur Larie/Le Figaro.

Vers dix heures, des habitants émergent, hagards, des décombres et convergent vers une large marmite où frémit du foul, une mixture de fèves, plat simple et traditionnel du Soudan. « On sert 500 repas par jour. Pour beaucoup de gens, c’est la seule option pour se nourrir, reconnaît Sheikh Ibrahim. L’objectif est aussi d’inciter les habitants à revenir ». Sur une banderole flottant devant l’entrée, le ton est donné : « Nous sommes de retour et nous sommes optimistes. » Dépendante de la solidarité collective des autorités religieuses et des dons de la diaspora, la survie de ces cuisines n’est pas assurée. « Il y a des jours on ne peut pas servir autant de repas. Chaque jour est un défi pour réunir les fonds et la nourriture, » regrette Sheikh Ibrahim.

La colère des « radiboun »

Kalashnikov sur l’épaule, le doigt sur la gâchette, Sakhr et ses compagnons patrouillent au milieu des ruines. « Lors de notre premier jour, notre tout premier combat, j’ai tué quelqu’un, lâche le jeune homme, encore très affecté par l’événement. Quelque temps après on a perdu deux camarades dans ces rues ». La vingtaine naissante, ces jeunes font partie d’un groupe de volontaires engagés aux côtés de l’armée. Avant la guerre, ils affrontaient régulièrement les forces de sécurité dans les rues de la ville.

« Les manifs commençaient ici, derrière la mosquée, avant d’aller vers la rue 40 », montre du doigt Mohammed. Ils ont fondé les radiboun, littéralement les jeunes en colère, qui étaient en première ligne des cortèges contre le coup d’État militaire du 25 octobre 2021 orchestré par les deux rivaux actuels pour se défaire de l’administration civile en place.


Des combattants de l’armée soudanaise retournent sur les lieux de leurs combats (qui avaient eu lieu au printemps 2024) contre les Forces de soutien rapide dans le sud d’Omdurman. Image par Arthur Larie/Le Figaro.

Dans la rue, des graffitis sur les murs (« Il n’y a pas de milice qui contrôle le pays », « Non à un gouvernement militaire ») témoignent de cette période qui paraît déjà lointaine. Durant ces manifestations, plus de 125 jeunes ont été tués. Mais aujourd’hui, la situation a changé. « On s’est battus contre les forces de sécurité et aujourd’hui on se bat à leurs côtés. Nous devons arrêter la destruction du Soudan, assène Mohammed. Toutes ces destructions, tous ces pillages, c’est ce qui nous a poussés à prendre les armes. »

Camps d’entraînement

Dans les grandes villes du pays, des camps d’entraînement ont essaimé, recrutant des centaines de jeunes hommes et femmes. Mais cet engagement divise toujours une partie des révolutionnaires, certains refusant de participer à un conflit qui, estiment-ils, n’est pas le leur. Ils dénoncent une instrumentalisation par les islamistes, rappelant les Forces de défense populaires levées par l'ancien régime pour mater les rébellions au Darfour et au Kordofan. Selon eux, le recrutement de ces volontaires laisse craindre une évolution du conflit vers une guerre civile.


Des soldats de l'armée soudanaise patrouillent dans la partie de la capitale reconquise ces derniers mois. Derrière, le parc d'attractions Magic Land, détruit par les combats. Image par Arthur Larie/Le Figaro.

« Ce n’est que transitoire, assure Muhammad Suleiman. Une fois la guerre terminée, nous retournerons dans la rue pour demander un gouvernement civil. » Après avoir quitté l’armée en 2020, ce capitaine au regard franc a repris son rang au début de la guerre, l’an dernier. Il fait partie des officiers de la révolution, un groupe de gradés qui furent critiques du régime d’Omar el-Béchir et qui avaient appelé il y a des années déjà à la réforme de l’institution militaire. « On disait que l’armée devait se concentrer sur les fonctions de défense, pas le business. Il fallait aussi purger les islamistes, se souvient l’officier rebelle. On a adressé en 2019 une lettre au commandement, où on alertait sur la menace de la présence massive des FSR, qui constituait une armée dans l’armée, à l’intérieur des villes ». Une requête restée lettre morte et qui lui valut trois mois de prison.

Le 15 avril 2023, cette présence de milliers de combattants dans les rues de la ville plongea la capitale dans le chaos.

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