La saison cyclonique 2024 dans l’océan Atlantique a été riche en rebondissements. La vague de chaleur au large du continent africain pourrait apporter quelques éléments de réponse.
Les ouragans les plus dévastateurs de l’Atlantique commencent souvent leur parcours destructeur en pleine mer, entre l’Afrique de l’Ouest et les Caraïbes, une zone que les scientifiques appellent à juste titre la « principale région de développement ».
C’est ici, dans cette pépinière de tempêtes, des groupes d’orages venus du continent africain se nourrissent de la chaleur de l’océan et commencent à tourner. En se dirigeant vers l’ouest, ils pourraient bien s’écraser sur terre et atteindre des records historiques.
En tout, plus de 80 % des ouragans les plus puissants de l’Atlantique sont nés dans cette principale région de développement.
Cela inclut l’ouragan Hugo de 1989 qui a frappé le sud-est des États-Unis d’Amérique et causé environ des dégâts s’élevant à 23 milliards de dollars américains actuels.
Mais aussi l’ouragan Irma de 2017 qui a provoqué des rafales de vent supérieures à 297 km/h dans les Caraïbes avant de frapper la Floride et d’inonder la côte de la Caroline du Sud.
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Les météorologues voient également la principale région de développement de l’Atlantique comme une sorte de pierre de Rosette : lorsque la température des mers augmente, les saisons cycloniques ont tendance à devenir plus violentes.
C’est la raison pour laquelle les météorologues étaient si inquiets cette année.
En mars 2024, une canicule en Afrique de l’Ouest a contribué à réchauffer les océans au large. En juin, les températures océaniques dans l’Atlantique tropical ont atteint le plus haut niveau habituellement rencontré à la mi-août. Et à la mi-août, elles étaient 38 % plus élevées que la moyenne des 10 années précédentes.
« Cela ne fait qu’augmenter la quantité d’énergie disponible pour toutes les tempêtes qui pourraient passer au-dessus », a déclaré Brian McNoldy, expert en tempêtes tropicales à l’Université de Miami.
Les météorologues avaient prédit un nombre de tempêtes tropicales supérieur à la normale, mais quelque chose d’inattendu s’est produit fin août : une accalmie subite au plus fort de la saison cyclonique. C’était comme si un couvercle géant avait été placé sur le chaudron des ouragans de l’Atlantique. Que s’est-il passé ?
Les météorologues ont déclaré que leurs prévisions pour 2024 ont été un « échec ». Mais une analyse plus approfondie de la principale région de développement de l’Atlantique révèle une explication plus nuancée, celle de la migration des espèces marines et des populations humaines, ainsi que des courants atmosphériques et océaniques changeants.
Cet article comporte également une tournure surprenante qui permet d’expliquer pourquoi certaines décennies ont connu moins d’ouragans et comment le réchauffement climatique rapide ajoute encore plus de rebondissements cette année.
À la pêche aux réponses
Le Sénégal s’avance dans l’Atlantique tel un volcan latéral, avec la capitale tentaculaire du pays, Dakar, au sommet, le point le plus à l’ouest du continent africain.
Au large de ces côtes, de puissants courants marins venus du nord et du sud convergent pour ensuite suivre les alizés vers l’ouest. Ce mélange d’eaux froides et chaudes a créé l’une des zones de pêche les plus riches du monde.
Grâce à cette proximité d’accès, l’industrie halieutique du Sénégal constitue depuis longtemps un important pourvoyeur d’emplois et une source de nourriture. Des villages de pêcheurs parsèment la côte, notamment la communauté de Fass Boye située à environ 96 kilomètres au nord de Dakar.
Récemment, des pirogues colorées étaient posées sur la plage, coque contre coque, comme les poissons débarqués vendus sur les marchés en plein air des environs. Les bateaux longs et étroits étaient en bois, certains peints aux couleurs du drapeau sénégalais. Beaucoup portaient le nom de proches, a déclaré Jeuwriñ Diop, un pêcheur dans ces eaux depuis les années 1970.
Lorsqu’il est parti en mer pour la première fois, il faisait frais de décembre à mars, raconte-t-il, se remémorant des souvenirs passés. Lui et d’autres pêcheurs utilisaient un filet pour remonter les sardinelles et autres espèces similaires qui aimaient cette « fraîcheur » de l’eau froide, dit-il. Parfois, les pêcheurs n’avaient besoin que d’une journée sur l’eau pour pêcher suffisamment de poissons pour vivre de leur travail.
Désormais, « on peut passer une ou deux semaines en mer à pêcher sans grand succès », explique J. Diop. La chaleur a enlevé cette fraîcheur et « tous ces types de poissons ont fui parce qu’ils ne peuvent pas s’adapter ».
Les pêcheurs ont suivi les poissons migrateurs. L’année dernière, un groupe de plus de 100 sénégalais ont quitté Fass Boye dans une pirogue. Ils espéraient finalement atteindre l’Europe, mais les vents les ont détournés de leur trajectoire et leur pirogue a chaviré. Un bateau de pêche a retrouvé l’embarcation à la dérive au large des îles du Cap Vert avec moins de 40 survivants à son bord.
J. Diop et les pêcheurs d’Afrique de l’Ouest ne sont pas les seuls à ressentir les effets du réchauffement des mers. Du Groenland aux Caraïbes, les températures des océans de la planète n’ont cessé d’augmenter au cours des trois dernières décennies, une fièvre chronique causée en grande partie par l’augmentation rapide des concentrations de dioxyde de carbone et de méthane.
Ces gaz à effet de serre emprisonnent la chaleur dans l’atmosphère terrestre et l’empêchent de se propager dans l’espace. Au lieu de cela, environ 90 % de cette chaleur finit dans l’océan. Par conséquent, les températures de la mer à l’échelle mondiale atteignent désormais leur niveau le plus élevé jamais enregistré.
Toutefois, les températures augmentent plus rapidement dans certains océans que dans d’autres, y compris dans la principale région de développement en Afrique.
Les équipes chargées de mesurer la température de la mer au large du Sénégal et de la frontière mauritanienne ont constaté des augmentations d’environ 0,1 à 0,3 degré Celsius (soit 0,18 à 0,36 degré Fahrenheit) par décennie, a déclaré Massata Ndao, chef de la Division océanographie et protection de l’environnement des fonds marins du ministère sénégalais des Pêches et des Infrastructures Maritimes et Portuaires.
Bien que minimes, ces augmentations progressives des températures de la mer s’accumulent au fil du temps, fournissant toujours plus d’énergie aux tempêtes bien au-dessus des vagues qui se réchauffent.
La pollution a-t-elle réduit les tempêtes ?
Du début des années 1940 jusqu’au milieu des années 1960, de violents ouragans ont frappé les Caraïbes et l’Amérique du Nord. Une pause d’environ trois décennies s’est ensuite installée jusque dans les années 1990.
Au départ, les scientifiques ne savaient pas exactement ce qui était à l’origine de cette diminution de l’activité cyclonique. Certains ont évoqué l’oscillation multidécennale atlantique, une fluctuation naturelle des températures dans l’Atlantique Nord qui se produit tous les 25 à 40 ans. Mais les scientifiques ont ensuite trouvé un autre indice : la pollution atmosphérique en provenance d’Europe et d’Amérique du Nord.
Kerry Emanuel, un scientifique pionnier du climat de l’Institut de technologie du Massachusetts, ainsi que d’autres équipes ont étudié comment cette brume constante de particules atmosphériques, ou aérosols atmosphériques, dérivait vers le sud et créait suffisamment de couverture pour refroidir la pépinière d’ouragans de l’Atlantique.
En parallèle, cette brume d’aérosols atmosphériques a probablement déclenché des sécheresses au sud du Sahara. À mesure que ces zones déjà sèches s’asséchaient, les vents ont emporté d’énormes quantités de poussière et les ont transportées dans les alizés, ce qui a encore réduit l’activité cyclonique, a expliqué K. Emanuel.
Mais lorsque les pays européens et nord-américains ont pris des mesures contre les pollueurs atmosphériques, en particulier les centrales thermiques au charbon, la couverture nuageuse a diminué. Le soleil a tapé plus fort sur la principale zone de développement de l’Atlantique, la réchauffant ainsi.
« Je dirais que c’est la raison pour laquelle nous voyons plus de tempêtes et des tempêtes plus fortes dans l’Atlantique qu’il y a 40 ans », a affirmé K. Emanuel.
Des températures plus élevées dans la pépinière des tempêtes de l’Atlantique peuvent toutefois modifier le calendrier et la trajectoire des ouragans d’une manière potentiellement moins destructrice, a-t-il ajouté.
Les cyclones tropicaux pourraient se former à proximité de l’Afrique, ce qui donnerait aux courants atmosphériques nord-américains plus de temps pour repousser les tempêtes en pleine mer vers le nord, et ainsi mettre les populations hors de danger.
C’est ce qui s’est passé en 2010. Cette année-là, l’Atlantique tropical était exceptionnellement chaud et a engendré un ouragan monstre après l’autre. D’après les calculs des scientifiques, les tempêtes étaient presque deux fois plus puissantes que celles d’une saison cyclonique habituelle. Mais beaucoup de tempêtes se sont formées du côté africain de la principale région de développement et ont touché le nord.
« Elles sont restés en mer, donc, cela n’avait pas vraiment d’importance pour la plupart des populations, à moins si vous étiez capitaine d’un navire », a souligné K. Emanuel.
Une étrange saison cyclonique 2024
L’océan est comme une gigantesque batterie, absorbant l’énergie thermique atmosphérique. Début 2024, les prévisionnistes prévoyaient une saison cyclonique beaucoup plus intense que la moyenne dans l’Atlantique, en partie à cause de toute l’énergie stockée dans la principale région de développement.
Comme prévu, des orages se sont déplacés au large des côtes de l’Afrique de l’Ouest le 22 juin 2024. Se déplaçant vers l’est à travers la pépinière d’ouragans de l’Atlantique, le système météorologique s’est transformé en une tempête tropicale nommée Béryl. Cette tempête Béryl de catégorie 4 a déferlé sur les îles du Vent, avant de se renforcer dans les Caraïbes. Pendant un certain temps, la tempête Béryl a été accompagnée de vents soutenus atteignant 265 km/h. Il s’agissait de la tempête de catégorie 5 la plus précoce jamais observée dans l’Atlantique.
L’ouragan Debby a suivi fin juillet, frappant la Floride avant de s’affaiblir en tempête tropicale en traversant la Caroline du Sud, mais a quand même inondé certaines régions avec des pluie atteignant jusqu’à 60 centimètres.
À la mi-août, l’ouragan Ernesto s’est formé dans la pépinière d’ouragans et s’est déplacé vers le nord dans le milieu de l’Atlantique, frappant les Bermudes.
Et puis le cycle des tempêtes s’est arrêté.
À la fin du mois d’août 2024, les moussons africaines se sont déplacées plus au nord que d’habitude, à tel point que même certaines parties du désert du Sahara ont enregistré des précipitations record. Les orages de ces systèmes de mousson sont souvent les germes des tempêtes tropicales.
Mais la dérive du courant africain vers le nord a fait dévier ces orages vers le Maroc et le Sahara occidental, au nord de la principale région de développement. Dans ces eaux plus froides, les orages se sont alors dissipés.
Dans le même temps, de l’air sec s’est déplacé vers la pépinière des ouragans de l’Atlantique tropical.
La saison cyclonique s’est alors soudainement interrompue.
Le déplacement des moussons vers le nord était déconcertant et cela souligne la nécessité de recueillir davantage de données sur le climat en Afrique de l’Ouest, a déclaré Gregory Jenkins, un climatologue de l’Université Penn State qui a beaucoup travaillé avec des chercheurs en Afrique de l’Ouest.
Cela pourrait contribuer à affiner les modèles de prévision météorologiques mondiaux, ces programmes informatiques qui permettent aux météorologues de faire des prévisions météorologiques plus précises.
Ce qui est clair, c’est que les eaux qui se réchauffent contiennent encore suffisamment d’énergie pour alimenter les ouragans pour le reste de la saison.
« Si les orages commencent à souffler depuis l’Afrique de l’Ouest et ont une bonne amplitude, alors tout repartira à la hausse », prévient G. Jenkins.
C’est exactement ce qui s’est produit à la mi-septembre, lorsque des orages se sont succédé depuis l’Afrique de l’Ouest jusqu’à la pépinière des ouragans. L’un de ces orages a fini par atteindre les Caraïbes et a donné naissance à l’ouragan Francine, qui a frappé la Louisiane.
Les ravages causés par le réchauffement des mers des deux côtés de l’Atlantique sont également évidents.
Dans la communauté sénégalaise des pêcheurs de Fass Boye, Jeuwriñ Diop a déclaré que c’est désormais son fils âgé de 30 ans qui part en mer sur la pirogue familiale. Sur l’embarcation, un drapeau du FC Barcelone, son équipe de football préférée, flottait au vent.
Lorsque l’on a demandé à Jeuwriñ Diop s’il rêvait d’émigrer en Espagne, il a préféré botter en touche, son visage trahissant la sensibilité du sujet. D’après lui, la température de l’air et de l’eau semble désormais plus lourde. Ce poids a été enduré par sa communauté : par ses proches et amis qui sont partis parce que les poissons avaient disparus des eaux, par ceux qui ont péris pendant leur traversée.
« La mer n’est plus ce qu’elle était », résume-t-il.