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Article Publication logo septembre 16, 2024

Port-Soudan, capitale de fortune d’un pays déchiré par la guerre

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Auteurs:
Sudan war
Anglais

After more than 16 months, war in Sudan has claimed more than 150,000 lives, forcing more than 8...

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Des déplacés par la guerre se baignent dans le port de Port-Soudan. Image par Arthur Larie/Le Figaro. Soudan.

Les chefs de l’armée régulière, les ambassades étrangères et les organisations internationales ont trouvé refuge dans cette ville portuaire située à 800 km de Khartoum, tout comme près de 250 000 civils déplacés par les combats. 


Délabrés et blanchis par un soleil de plomb, les vieux bâtiments coloniaux du marché somnolent à l’écart des immeubles modernes. Une enfilade d’arches, coiffée de maisonnettes de bois et de tôle, se dresse, insensible au développement urbain qui l’entoure. Au milieu des échoppes centenaires de fruits et légumes, réfrigérateurs coréens et moteurs de touk-touk indiens servent de repère temporel au passant. Derrière, en direction de la mer, les grues métalliques de la darse, larges et immobiles, prêtes à accueillir vraquiers et porte-conteneurs, dessinent le paysage portuaire. 

Éloignée des lignes de front, située dans une zone contrôlée par l’armée soudanaise à plus de 800 kilomètres de la capitale, Khartoum, Port-Soudan affiche une plate indolence face à la guerre qui ravage le pays. Le conflit entre l’armée régulière et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) du général Hemedti a pourtant replacé la ville au centre du pays, transformant la calme cité portuaire en capitale de facto du Soudan. 


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Khartoum, l’épicentre dévasté des combats, s’est vidée de ses attributs politiques. Ministères, institutions et symboles du pouvoir y ont été largement détruits. Les banques sont systématiquement pillées. Sur la rive sud du Nil Bleu, le palais présidentiel, emblème de l’histoire du pays depuis la domination turco-égyptienne des années 1820, a été bombardé et partiellement ravagé par les flammes. 

Encerclé par les hommes de Hemedti, qui contrôlent l’essentiel de la capitale, le président et commandant en chef des armées, Abdel Fattah al-Burhan, a quitté Khartoum en août 2023. Il a rejoint Port-Soudan, où l’avaient précédé ministres et membres du Conseil de souveraineté. Il y dirige le pays à la tête d’un gouvernement et d’un état-major en exil. Signe d’une transition en cours, de nombreux ministres sont toujours logés dans les hôtels de la ville. En juillet, il y a reçu en visite officielle le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, entérinant un peu plus le nouveau rôle de Port-Soudan. 

La perte de Khartoum 

Mais les autorités soudanaises refusent toujours d’y transférer pleinement la capitale. « Cela demeure une option à l’étude », a récemment botté en touche Gibril Ibrahim, le ministre des Finances. Une telle démarche acterait la perte de Khartoum. « Ils espèrent encore pouvoir reprendre la capitale, mais dans les faits, tout se passe à Port-Soudan, maintenant », analyse Suliman Baldo, du cercle de réflexion Sudan Transparency and Policy Tracker. 

À Hay el-Matar, le quartier de l’ancien aéroport, la transformation de la ville en capitale est déjà visible. Bordant des rues à moitié goudronnées, les ambassades russe, iranienne et émirienne, les locaux des agences onusiennes et de diverses ONG internationales, ainsi que les bureaux politiques d’anciens mouvements rebelles, se côtoient. Plusieurs diplomates et humanitaires ayant fui le pays au début de la guerre ont amorcé leur retour. 

Parmi l’élite économique, rares sont ceux qui croient encore à une fin rapide du conflit. « Les investisseurs sont attirés par Port-Soudan, et ce n’est que le début. C’est devenu le premier marché du pays. Une ville refuge qui sera la capitale au moins pour les cinq prochaines années », estime Abdallah, employé à Dock, un nouveau restaurant branché de la corniche où les prix sont affichés en dollars. 


Port-Soudan est devenu un refuge pour tous les Soudanais. Ils viennent le soir sur la corniche prendre l’air. Image par Arthur Larie/Le Figaro. Soudan.

Abraham, au centre, et sa famille. Déplacés par la guerre, ils vivent sur ces bancs, à l’extérieur d’une église, à Port Soudan, sous 45°C. Image par Arthur Larie/Le Figaro. Soudan.

Seule ville soudanaise ouverte sur l’extérieur et dotée d’un aéroport international connecté au Moyen-Orient, ainsi qu’à certaines capitales africaines, Port-Soudan fait office de lien avec le reste du monde. Une petite revanche sur l’excessive centralisation du pays depuis son indépendance, en 1956. La ville possède certains atouts pour s’affirmer comme nouveau centre de gravité. « Port-Soudan occupe une position stratégique, à mi-chemin entre l’Asie, l’Europe et le Moyen-Orient. C’est un immense avantage dont nous comptons profiter », assure Abubakr Omar al-Bushra, ministre soudanais de l’Agriculture. Situé sur la mer Rouge, par où transite plus de 15 % du commerce maritime mondial, le port est le principal lieu d’entrée et de sortie des marchandises du pays. 

Sa situation stratégique, à mi-chemin entre Suez et le détroit de Bab al-Mandab, aiguise l’appétit de puissances étrangères. Le Soudan, endetté auprès de la Chine, occupe une position de choix sur la carte des « nouvelles routes de la soie ». Les Émirats arabes unis lorgnent également un morceau de côte. Abu Dhabi a signé un accord prévoyant un investissement total de 6 milliards de dollars pour la construction d’un nouveau port à Abu Amama, plus au nord. Il offrirait un débouché direct aux projets agricoles d’envergure entrepris le long du Nil par les émirats. 

« Cela fait également des années que les Russes cherchent à s’implanter militairement et à construire une base navale sur la mer Rouge », rappelle Suliman Baldo. Une demande qui, depuis l’ère du dictateur Omar el-Béchir, revient régulièrement sur le tapis dans les négociations entre l’armée soudanaise et la Russie. L’Iran, déjà impliqué aux côtés des houthistes au Yémen, a montré un intérêt poussé pour la façade maritime soudanaise. Le pays, qui livre des drones Shaheed et des munitions aux forces régulières, souhaiterait pouvoir faire accoster ses navires au Soudan. Une demande rejetée jusqu’à présent sous la pression de l’Arabie saoudite et des États-Unis. 

78 camps de déplacés 

Construite en 1905 par les Anglais sur une bande désertique coincée entre la mer et la montagne, Port-Soudan peine aujourd’hui à répondre aux besoins primaires de ses habitants. « Je n’ai pas eu d’électricité de la nuit, impossible de faire marcher la clim ou un ventilateur malgré la chaleur », lance Taoufig Osman, nouvellement arrivé dans la ville. Les coupures de courant y sont récurrentes, causées par l’incapacité du gouvernement à payer les 3 millions de dollars mensuels de facture. Une somme qui correspond au coût de la barge turque amarrée au sud de la ville pour l’alimenter en électricité. 

L’approvisionnement en eau est encore plus chaotique. Sur les rives arides de la mer Rouge, les ressources sont rares. Seule source d’eau douce, une rivière saisonnière alimentant le barrage d’Arbaat, au nord-ouest. Cette réserve est insuffisante pour la population : le déficit en eau à Port-Soudan représente entre 40 % et 50 % des besoins. Des petites usines de dessalement de quartier tentent de combler les manques, sans réel succès. « L’eau du robinet et de la douche est salée », poursuit Taoufig Osman. Le 25 août dernier, de violentes inondations saisonnières ont provoqué l’effondrement du barrage d’Arbaat et des tuyaux acheminant l’eau potable jusqu’à la ville. « Il faut s’attendre à des crises dans les prochaines semaines quand il n’y aura plus d’eau », s’inquiète Suliman Baldo. 


Des chrétiens originaires de tout le Soudan ont été déplacés dans une église à Port-Soudan. Image par Arthur Larie/Le Figaro. Soudan.

Isra Moussa vit dans un camp de déplacés à Port-Soudan. Elle raconte qu’une famille a été décimée par un bombardement de l’armée soudanaise. Image par Arthur Larie/Le Figaro. Soudan.

La situation est aggravée par l’explosion soudaine de la population. Près de 250 000 déplacés ont trouvé refuge dans la capitale provinciale jusqu’ici épargnée. Une augmentation nette de 50 % de la population urbaine. « Avec la poursuite des combats, le nombre de déplacés va continuer à grimper. Il faut s’attendre à l’arrivée de nouvelles familles », explique Mervat, en charge des déplacés à la commission d’aide humanitaire, un organe dépendant du ministère des Affaires humanitaires. 

« Je suis partie à cause des bombes. L’une d’elles est tombée sur la maison voisine, tuant toute la famille », soupire Isra Moussa. En larmes, assise à l’ombre d’un voile accroché à sa tente, la jeune fille de 14 ans expulse les traumatismes de la guerre. Originaire de Khartoum, elle a trouvé refuge à l’école primaire Naji, l’un des 78 camps de déplacés de la ville. Malgré l’aide humanitaire, les conditions de vie restent difficiles. La chaleur excessive cloque les peaux et l’air saturé de poussière bloque la respiration. « Mais au moins, ici, on est loin des bombes et de la guerre », souffle Isra.

Gigantesques cargos 

Depuis le début du conflit, Port-Soudan s’est transformée en salle d’attente pour les civils souhaitant rejoindre les pays voisins. Les administrations, bureaux des passeports et service du numéro national ont tous migré dans la ville portuaire. « On est venus ici pour faire une demande de visa pour l’Égypte, mais les délais sont longs, ou alors il faut payer », déplore Abraham Gamal. 

Alors, en attendant, cet artisan de 35 ans originaire de l’État du Nil Blanc est accueilli par le diocèse avec sa famille à l’église copte Saint-Marc, près du marché central. À l’intérieur de l’édifice, une soixantaine de matelas jonchent le sol de la nef. Allongés, de vieux chrétiens fatigués par la chaleur s’éventent à l’aide de morceaux de carton. « Il n’y a pas de travail, ici. Ceux qui en ont un ne peuvent souvent pas se payer de loyer, la guerre a fait grimper tous les prix. Il n’y a même plus d’école pour les enfants. Nous ne pouvons pas rester ici », explique ce père de famille. 


Un camp de déplacés dans l’école primaire Naji, à Port-Soudan. Image par Arthur Larie/Le Figaro. Soudan.

Khaled, en bas à gauche, et son groupe de musique, tous déplacés par la guerre dans la capitale de Port-Soudan. Image par Arthur Larie/Le Figaro. Soudan.

Le soleil enfin caché par les immeubles, Khaled, Omar et Youssef prennent place sur les chaises en plastique colorées des petits cafés le long de la corniche. Devant eux, des adolescents se baignent dans la rade face aux gigantesques cargos déchargeant leurs marchandises. « Ce n’est pas si terrible », plaisante Youssef. Le jeune homme vient de trouver un emploi au ministère de l’Énergie. « Même après la guerre, je resterai peut-être ici, je n’ai de toute façon plus rien qui m’attend chez moi, lâche Khaled en arborant un large sourire et une ample coupe afro. Je ne devais rester qu’une semaine puis partir au Rwanda poursuivre mes études, mais j’ai rencontré ces musiciens eux aussi déplacés et on a décidé de monter un groupe ici, à Port Soudan. »

Au printemps, les quatre artistes ont renoncé à quitter le pays pour fonder Motive. Tous les jours, ils répètent au club de musique de la ville où ils sont hébergés avec d’autres musiciens en exil. Les soirs de week-end, entre deux coupures d’électricité, le petit groupe se produit dans les cafés du bord de mer. Dans le public se mêlent résidents locaux et déplacés des classes moyennes. « Nous voulons redonner de la motivation. Les gens veulent des concerts, ils veulent entendre autre chose que la guerre, poursuit Khaled le batteur du groupe. C’est bizarre mais ce conflit nous a apporté une opportunité immense de monter sur scène et de jouer la musique qu’on veut. » 

Une résilience partagée par Ofgair Mohammed, qui dirigeait depuis la révolution soudanaise un centre culturel à Khartoum. « La situation est difficile, on doit tout recommencer de zéro, tout reconstruire, mais nous avons trouvé un nouveau lieu. Nos cœurs sont grands et nos rêves continuent. Malgré la guerre, nous allons continuer de soutenir la création soudanaise. C’est une chance, beaucoup d’artistes sont réfugiés dans la ville. »

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